la fleur du mal ♣ solveig

Invité

you're my butterfly sugar baby

- Bah alors petit, t’as pas l’air dans ton assiette aujourd’hui…
Je souris tant bien que mal à Nana, la patronne rondelette d’une pâtisserie reconnue du centre commercial pour ces délices ultra-caloriques à la crème fouettée. Tout le monde l’appelle ainsi sur son territoire aux tons framboisés et à l’ambiance bucolique, nul ne sait si Nana se trouve être son véritable prénom ou un vulgaire surnom que l’on lui affuble depuis des années. Tout ce que je sais, c’est que Nana la yougoslave, elle cuisine bien et que même ses tiramisus sont presque meilleurs que les miens. J’esquisse un rapide rictus aux coins des lèvres, relevant le visage de la banquette matelassée à laquelle je fais de l’œil depuis une quinzaine de minutes.
- J’vous rassure Nana, tout va pour le mieux !
Je fais opérer mon charme afin de masquer le malaise palpable que je ressens depuis quelques semaines. Je fais toujours ça, me montrer vulnérable face à mon « entourage » est une hantise pour moi. Mon regard retombe sur le tiramisu à peine entamé que ma cuillère ne se lasse pas d’amocher depuis un moment. Un soupir s’échappe d’entre mes dents. Nana reprend :
- Je ne te vois jamais ici sans ta sœur, où est-elle … ?
Je repense à l’email d’Alahana et passe mes doigts sur mon crâne, me massant le cuir chevelu, songeur. Mais oui, où est-elle donc ? Moi-même je me le demande. Je tends mon assiette à peine entamée à la vieille femme, un sourire désolé dessiné sur mon visage maussade.
- Vous pouvez m’emballer ça s’il vous plait ? Je vais lui en apporter une part, elle adore votre tiramisu je crois.

Elle hausse les épaules et s’éloigne. Je m’approche de la caisse, règle la note en silence, oubliant même l’œillade intéressée que j’offre à la jeune caissière à mon habitude. Mon sac sous le bras, je quitte le centre commercial à pas trainant, y retrouvant à sa sortie ma bicyclette qui trône fièrement contre un lampadaire. Je la chevauche et commence déjà à pédaler vers le campus, quand bien même je n’ai aucune idée de la destination que je vais prendre. Je longe les trottoirs de l’université en scrutant les vitrines et les espaces verts. Où aller ? Y’a-t-il seulement une personne de libre sur ce fichu campus pour me tenir compagnie aujourd’hui. Je songe à ma sœur jumelle, une nouvelle fois, et secoue rapidement la tête lorsque l’image de son compagnon s’impose à moi. Quand bien même cette situation me dépasse totalement et qu’Alahana me manque affreusement, je ne tiens pas vraiment à m’imposer dans son couple. Je pense à Halcyon et à sa guitare. Je râle en bifurquant sur la droite, je me sens incapable de faire quoi que ce soit aujourd’hui, musicalement parlant. J’ai besoin de me changer les idées, de m’ôter de la tête la pensée que oui Jeremiah, cette situation dans laquelle tu es, cet ennui, c’est un message. Ta sœur est en couple, alors au lieu de la coller comme un vulgaire paumé, trouve-toi une fille avec qui baiser merde ! Je me sens vulgaire et pourtant j’en viens à véritablement rire pour la première fois de la journée. Peut-être que c’est ça oui, la compagnie d’une fille pourrait me remettre d’aplomb. Dieu seul sait que j’en ai des numéros, un carnet entier même, avantage d’être le membre d’une confrérie comme la KBO, mais ce n’est pourtant qu’un seul et unique visage qui me vient à l’esprit à l’instant. Ouais, peut-être que la compagnie de cette fille pourrait me remettre d’aplomb.

Je ne perds pas mon temps à rêvasser et effectue aussitôt un demi-tour complet sur la voie, coupant la route à un abruti en cabriolet au passage. Je sais où elle se trouve, je sais exactement tout de ce qu’elle aime faire. C’est ainsi que procède les prédateurs lorsqu’il veule s’attaquer à une proie. Ils les apprivoisent, les sentent, s’approprient leurs habitudes… Et ils sautent. Ahah, du moins je l’espère. Pas le temps de me sentir abominable ou de me traiter de salaud, je fonce vers le lac à toute vitesse, le vent frais s’engouffrant par bourrasque sous ma chemise bleu ciel, immaculée par le soleil. Je déboule sur la rive à fond les manettes, debout sur mon engin à deux-roues, et aperçois aisément la jeune fille que je recherche au loin. Elle est sagement assise, je ne distingue seulement ses cheveux blonds et ses longues jambes et pourtant je la reconnaitrai entre mille. Je ne la connais qu’à peine mais c’est ainsi, cette fille est un défi que je me suis lancé. Je laisse ma bicyclette contre un arbre et m’approche d’elle à pas feutré, l’observant en silence tout en lissant rapidement les plis sur mon pantalon noir. Elle ne me remarque pas, je m’accroupi derrière elle et viens faire frôler mon menton contre son épaule, soufflant sur sa joue.
- On n’se connaitrait pas tous les deux ?
Bien sûr qu’on se connait. Solveig Calloway, étudiante en droit, je lui parle régulièrement depuis une ou deux semaines et la chose la plus importante à retenir. Membre du club « Be yourself, be a virgin. »